MANIFESTE 2024  -  FONDATION CALEM-ICAZ



« Nous allons te narrer, grâce à la révélation de ce Coran,

les plus beaux récits, bien que tu fus autrefois parmi les ignorants »[1].

 

Le Coran est un texte admirable, sanctifié par des générations de croyants, basé sur les plus belles histoires. Ces histoires ne sont pas spécifiquement ancrées culturellement ; elles nous parlent de notre humanité, ici et maintenant. Mais je ne pense pas que nous devions les énoncer, dans le langage de nos traditions séculaires, afin de renforcer les particularismes ou les schismes, mais bien pour créer des ponts, tout en identifiant les signes souvent indicibles de l’Universel à travers le particulier.

Cela, bien que les traditions monothéistes, tout comme celles des zoroastriens avant cela, portent également en elles les germes du récit de l’autodestruction de notre humanité. Cette tentation du pire est généralement symbolisée par la venue de deux messagers de Dieu en particulier : les archanges Michaël[2] et Gabriel[3]. Ces deux avatars du Divin n’apparaissent ensemble qu’à une seule reprise dans le Coran[4] : au moment de la pesée de nos actions[5], le jour du « jugement dernier »[6].

Ainsi, face aux débats récurrents qui concernent ces mythes et ces traditions véhiculées depuis des millénaires par le religieux, et parfois par ses tendances millénaristes[7] les plus totalitaires, nous voilà par trop souvent bien démunis, vulnérables : tantôt en colère, tantôt en recherche de rédemption universelle. La vulnérabilité, un terme fortement contemporain dans les sciences humaines et sociales, ainsi qu’en philosophie, est généralement admis dans son acception la plus commune : faiblesse et fragilité.

Sommes-nous, collectivement, trop fragiles face aux coups de butoir des fascismes, d’où qu’ils viennent ? Au contraire, sommes-nous trop souvent motivés par nos peurs ancestrales, plutôt que par nos idéaux démocratiques ? Que défendons-nous dans nos vies désormais mondialisées, tandis que des millions d’individus pauvres et affamés fuient les ravages de la crise climatique et se précipitent vers l’Europe[8] ? « Quelles lignes de fuite reste-t-il lorsque l’errance d’une stigmatisation a chassé le rêve de soi ? »[9]  Au cœur de ce maelström civilisationnel, une renaissance spirituelle, au-delà de la dogmatique religieuse, est-elle pensable ? Quelles structures collectives, académiques, culturelles et sociales, nous permettraient-elles de traverser à gué, tel Moïse et Aron, notre « mer rouge » sang, en cette post-modernité farouche, en vue d’une islamité[10] véritablement apaisée ?

 

Depuis quinze ans, avec cette médiatisation du concept de religiosité progressiste et inclusive, nous sommes souvent face à des individus, qu'ils soient concernés personnellement ou non par la présente question, qui ont entendu tellement de choses sur le sujet, et leur contraire, qu'ils veulent avoir une idée à la fois synthétique et globale de ces problématiques, du point de vue de nos traditions religieuses. Le vivre ensemble, l’apostasie, le genre : que disent véritablement les textes religieux[11], au sein de nos communautés de la diaspora et de l’autre côté de la Méditerranée, sur ces sujets de sociétés des plus brûlants ?[12]

Ce manifeste représente donc, avant tout, notre vision systémique de ces tensions identitaires et sociales, par le prisme d’un angle mort qu’est celui du statut des minorités. Car la façon dont on considère les identités minoritaires offre pléthore d’informations à propos du fonctionnement global d’une société ou d’une communauté donnée.

 

            Par conséquent, le premier objectif de notre paradigme organisationnel étant de récapituler les sources scripturaires ayant trait à ces questions, en choisissant plusieurs problématiques concrètes, ainsi qu’en décrivant la façon dont elles ont été considérées dans l’histoire récente de nos religions.

L’objectif secondaire de notre paradigme organisationnel étant d’instaurer un dialogue, plutôt que d’avoir le dernier mot, ou de nier les autres approches de ces problématiques, afin d’être en mesure de contribuer à imaginer des ponts, entre nos traditions culturelles, et le quotidien des croyant-es en tant qu’acteurs de leurs destinés, d’où qu’ils viennent et où qu’ils vivent.

Ce paradigme, à l’intersection des idéaux théoriques et du factuel sociologique, communément décrit comme étant celui d’une théologie de la libération, le plus souvent conçu par le prisme des identités ou des comportements qualifiés de « minoritaires », voire « d’extrêmes », nous a déjà permis d’établir un certain nombre de constats.

 

Pourquoi s’enraciner aux côtés des minorités ? D’une part, parce que la façon dont on traite les identités ou les comportements minoritaires, au sein d’un groupe social donné, en dit très long sur la façon dont les dynamiques internes de ce groupe fonctionnent et se perpétuent d’une génération l’autre.

En effet, cela peut paraitre contradictoire, pour autant au-delà du jugement de valeur, il nous faut comprendre qu’il s’agit là d’un phénomène aisé à analyser en termes de systémiques psycho-sociales liées aux dynamiques de groupes. Ce phénomène de « fascisation » des identités, par la réécriture dogmatique et exclusive des héritages culturels, relève de la peur d’un groupe social, quel qu’il soit, surtout en temps de crise économique, puis politique, de voir son identité remise en question par la minorité en son sein[13].

En miroir de ces phobies inconscientes et injustifiées, nous placerons ici en exergue le fait que la représentation d’un humanisme universel possible, revendiqué au cœur de nos traditions culturelles ou religieuses, doit par conséquent être refondé d’une part sur une primauté temporelle de la loi humaine, pour le soutien de l’élaboration d’un ordre sociétal juste ; d’autre part, sous l’impulsion du Divin, par une supériorité de l’exemple éthique incarné par nos traditions prophétiques, placé ainsi au-dessus de nos instincts humains, qui contribuent à scléroser nos interactions interindividuelles en temps de crises[14].

 

C’est là que se love l’esprit de la loi religieuse. Primauté pragmatique du sociologique, supériorité éthique de l’axiologique. C’est là que se niche l’axiome principal de la théologie de la Libération par les minorités, tout autant que la complexité première de ce type de démarche intersectionnelle. Comme il est aisé de l’écrire, et ardu de le voir réalisé.

S’ajoute à cela le fait que la culture, lorsqu’on l’observe comme étant le produit des interactions interindividuelles, semble pourtant impossible à séparer organiquement du religieux, hors de tout contexte, et inversement. Toute religion est un produit de sa culture mère ; elle ne tombe jamais du ciel. De même qu’on ne soit en mesure, à ce jour, de donner l’exemple d’une seule culture qui aurait émergé sans produire de représentations spirituelles.

De l’autre côté de la Méditerranée, depuis l’aube du vingtième siècle, à l’aune des luttes de libération postcoloniales, le dogmatisme religieux n’a jamais autant été instrumentalisé afin d’influencer les dynamiques sociopolitiques, puis identitaires. Cela ne saurait continuer d’avoir des conséquences sur nos représentations spirituelles, partout ailleurs dans le monde.

 

Notre paradigme organisationnel, intersectionnel, permettra ainsi de retracer, de manière systématique[15] et systémique[16], par le récit d’exemplaires concrets, l’origine des sources scripturaires en lien avec une certaine représentation de l’éthique religieuse en Islam : al-adab[17].

En français il y a, et récemment de plus en plus, de nombreux termes empruntés à l’arabe, bien plus qu’au gaulois. Pour autant, ces termes ne recouvrent pas toujours exactement l’acception classique, qu’on en avait avant leur passage dans nos langues vernaculaires occidentales, ou même dans leurs argots. A toute fin utile, je préciserai donc que l’Islam, avec un « i » majuscule, fait référence en langue française à la civilisation dite « arabo-musulmane », et non à l’islam en tant que religion stricto sensu. L’Islam, c’est donc avant tout les musulmans, les musulmanes et autres.

Il faut également distinguer différentes représentations du lien à cet Islam : islam, religion de « paix » (et non de soumission) ; shari'a, chemin vers « l'Illumination », vers l’éveil - al-yaqine – qui n’est pas une prison dogmatique ; le fiqh, compréhension islamique traditionnelle du message divin (ce n’est pas une « loi »).

Ajoutons à cela qu’au sein de sociétés laïques et démocratiques, la seule loi est celle de la Respublica[18] démocratique. Il en est ainsi de nos jours dans les sociétés laïques, et selon la théologie de la Libération dont je me réclame, Dieu l'a voulu ainsi pour notre plus grand bien ! Seule la théologie de la Libération, entreprise par le prisme des minorités, nous permettra ainsi de passer outre les dysphories[19] et les conflits d’allégeance.

Ces mises en perspectives épistémologiques permettent également de déconstruire les sophismes à l’œuvre ici, par le truchement desquels les soi-disant « islamistes », depuis un siècle, ont participé au renforcement des identités meurtrières et fascisantes en Islam, par le biais d’une représentation exclusivement dogmatique et rigoriste des traditions spirituelles, perçues ainsi comme fondamentalement islamisantes et non pas universelles.

 

Neuro-psychosocio-théologie, est le terme que j’utilise afin de définir ce paradigme intersectionnel, éthico-religieux, prenant ainsi en compte l’ensemble des facteurs déterminants premiers de la présente problématique ainsi décrite : les facteurs liés au fonctionnement de nos structures cérébrales les plus ataviques ; ceux liés à nos croyances ancestrales les plus intimes ; et enfin les facteurs liés à la façon dont nous implémentons ces dernières, dans notre quotidien, afin de façonner nos interactions avec l’ensemble de la création.

 

Il n’en reste pas moins, aux vues du contexte actuel, que nos traditions religieuses seront éthiques et universalistes, ou ne seront plus. Mais à cela s’ajoute une difficulté politique supplémentaire : nous sommes ici enchâssé-es entre deux extrêmes, dont j’ai déjà traité par ailleurs[20].

D’un côté, nous aurions ceux et celles qui sont décrient comme des « islamistes », qui se disent réformistes[21], qui prétendent que l’islam cela veut dire « paix » en arabe, mais qui ne font qu’exclure les « autres » ainsi fantasmés. Plus encore, ils basent les principes axiologiques mêmes de leur réforme sur la discrimination, plutôt que sur l’inclusion : pierre angulaire d’un universalisme dont ils se réclament pourtant. Ainsi, pour les « islamistes » la paix universelle ce serait l’islam, et rien d’autre, mais pas tout à fait pour les femmes, certainement pas pour les juifs, absolument jamais pour les minorités de genre et les apostats.

D’autre part, nous aurions ceux et celles qui sont décrits comme des « laïcards », qui se disent défenseurs des libertés individuelles, que certains accusent de ne pas défendre aussi férocement les droits humains des musulman-es, voire d’être un tantinet « islamophobes »[22], et ce de manière ouvertement décomplexée ; considérant, par exemple, que les victimes civiles, lorsqu’elles sont identifiées comme « arabo-musulmanes », ne seraient qu’une malheureuse variable d’ajustement nécessaire. Les théologies de la Libération, c’est bien justement de replacer les plus vulnérables au cœur de nos préoccupations politiques, éthiques et spirituelles.

 

En cela, qu’ils appartiennent à un présupposé extrême ou à un autre, nous sommes souvent confronté-es à des gens qui ânonnent les mêmes banalités à propos d’une culture islamique ainsi réifiée, mais sans jamais s’attaquer au radical du mal islamisant. Ces deux extrêmes sont rétifs, de par leur nature idéologique profonde, à franchir l’abîme entre authenticité individuelle et idéalisme collectif.

La philosophe du siècle dernier, Hannah Arendt[23], avait initié une telle entreprise de création d’un substrat intellectuel, en lien avec la mise en place sociopolitique de toutes les formes de fascismes : au-delà de leurs façades aux colorations culturelles diverses, leurs dynamiques sous-jacentes sont en tous points similaires, systémiquement parlant[24].

En tant qu’intellectuel-les, artistes ou responsables associatif, engagé-es sur ces terrains-là depuis trente ans, notre marotte a été d’identifier les points communs, les dynamiques sous-jacentes suffisantes et nécessaires, à l’élaboration d’identités fascisées en temps de crises, sur le dos des minorités, afin d’éviter l’écueil qui consisterait à être trompé-es par de simples façades idéologiques, certes diverses et variées.

 

            Plus encore, ces deux dernières décennies, nous avons assisté à la valse des terminologies, plus ou moins fleuries, afin de qualifier ces différentes problématiques croisées, en lien avec la radicalisation de certains religieux. Ainsi, en prémisse de ce manifeste, j’ai choisi d’utiliser une terminologie dynamique, qui permet de dépasser les clivages politiques, tout en présentant l’intérêt de décrire ces processus idéologiques.

En cela, islamisants est un terme qui fait référence à ces individus qui considèrent que : « L’islam reste la source à partir de laquelle tout est conçu »[25] ; au contraire des musulman-es « laïcs », qui considèrent l’islam comme une philosophie de vie, un cadre axiologique intégré au reste de l’architecture de leur existence spirituel.

Quant à notre représentation de l’universalisme, elle est ici intersectionnelle et inclusive. C’est ainsi que ce concept est rétabli par l’universitaire noire américaine Kimberlé Crenshaw, afin de décrire la façon dont le croisement entre racisme et sexisme lui a permis de mettre au jour l’angle mort de certains milieux militants, qui ne prennent jamais en compte la totalité du spectre des discriminations à déconstruire[26].

Ce tropisme d’une certaine systémique militante, prétendument universaliste, a longtemps placé les individus issus de plusieurs minorités visibles à l’intersection de discriminations, qui se superposent les unes aux autres, qui s’hyperbolisent, se télescopent et se renforcent, sans pour autant qu’elles soient identifiées de manière spécifique et objective. C’est ce qui fait dire à certains intellectuel-les que : « Lorsque nous pensons l’universalisme, nous sommes dans une logique métonymique[27], et nous prenons la partie pour le tout »[28].

Enfin, le terme de séparatisme est apparue dans le débat public national français il y a peu, au moment de la rédaction de la loi éponyme[29]. Au fil de nos entretiens, en amont du vote de cette loi, avec mes collègues anthropologues du Bureau des Cultes au ministère de l’intérieur français, nous en sommes arrivé à la conclusion que ce terme présentait au moins l’avantage de nous permettre de ne plus être contraint de faire exclusivement usage du « communautarisme », dont l’acception est à géométrie variable et dépend trop souvent encore de la couleur de peau, ou de la confession, des individus composant certaines communautés en particulier.

 

Les prémisses épistémologiques ainsi que terminologiques de notre propos ainsi posés, nous continueront de développer des projets concrets inch’Allah - tant académiques, culturelles et artistiques -, afin d’accompagner ces mutations contemporaines des représentations culturelles, ou religieuses, au-delà d’une conception politique fascisante, en l’occurrence islamisante, de nos identités individuelles et collectives.

Nous prendrons ainsi à bras le corps, de manière intersectionnelles, la déconstruction d’une représentation exclusive de l’Islam, car nous avons pleinement conscience du fait que tous les processus de fascisation des identités, quelle que soit l’époque ou la culture considérée, que l’on nomme aujourd’hui le séparatisme, commencent par l’exclusion des « autres », considérés comme ne faisant plus partie d’un groupe socio-identitaire digne d’humanité. Ainsi, nous serons inscrit-es en faux contre l’exclusion de « l’autre », cette fois-ci au sein du groupe, afin de renforcer les frontières de ce dernier, en stigmatisant des convictions ou des comportements décrits comme « pervers » ou « contre-nature ».

Enfin, nous serons opposé-es à la réécriture du passé historiographique des origines identitaires et culturelles du monde dit « arabo-musulman », afin de boucler le processus d’analyse de cette radicalisation particulière[30] qui, comme toutes les autres, est systémiquement et systématiquement construite socio-politiquement sur le dos des minorités religieuses, ethniques, linguistiques, de genre, ou autre[31].

 

Il n’en reste pas moins qu’une telle dynamique paradigmatique organisationnelle, certes systémique et rigoureuse, porte en elles plusieurs angles morts.  Ce type d’organisation socioculturelle, telle que la Fondation CALEM, présente ainsi l’avantage évident de considérer la réalité telle qu’elle est, plutôt que de conjecturer indéfiniment sur ce que telle ou telle culture, ainsi réifiée, nous commanderai d’être.

Plus particulièrement, notre approche théologique libératrice replace les individus au centre de nos considérations axiologiques, qu’elles soient philosophiques ou plus spécifiquement religieuses. C’est là une différence majeure avec les tensions identitaires portées par d’autres mouvements historiques, qui ont eu un point de vue plus dichotomique sur la question, considérant que deux identités cohabiteraient, d’une façon plus ou moins clivée, au sein de la représentation que l’individu concerné a de lui-même : le croyant d’un côté, le citoyen de l’autre.

Mais le défi majeure, auquel doivent faire face ce type d’organisation socioculturelle, est celui partagé par l’ensemble des projets qualifiés de progressistes et inclusifs[32], élaborés depuis l’intérieur d’une tradition séculaire, culturelle et religieuse. Ce défi consiste à séparer ce qui est essentiel à la foi, de ce qui est imposé par une culture ou un contexte sociopolitique donné, en fonction de facteurs économiques et géostratégiques, en l’occurrence postcoloniaux, le plus souvent déterminants bien qu’implicites ; puis, d’autre part, de tamiser ce qui relève de la préservation apaisée d’une tradition spirituelle parmi tant d’autres, de ce qui a trait à l’émancipation[33] des individus qui font vivre ces traditions.

 

Il y a sans doute des chausse-trappes surnuméraires à ce type d’engament, à l’intersection entre diversité socioculturelle et foi universaliste, du fait d’un terrain particulier, multidisciplinaire et au déterminisme multifactoriel, en pleine mutation depuis une trentaine d’années, en lien avec l’islam en tant que tradition philosophico-religieuse, mais aussi l’histoire contemporaine particulière des pays des deux rives de la Méditerranée

Pour autant, ainsi croisées, ces problématiques minoritaires nous permettront d’établir des conjectures solides à propos de la façon dont certains leaders ont procédé, peu à peu tout au long de la fin du siècle passé jusqu’à nos jours, à une aliénation des traditions, tout en renforçant leurs dynamiques politiques fascisantes, à l’encontre du vivre ensemble – nommée covivencia à l’époque Andalouse - et de l’émancipation du plus grand nombre. 

Enfin, en dépit des lacunes et des controverses que ce genre d’approche suscite de nos jours, le paradigme d’une théologie de la libération systématique et systémique, appliqué au cas particulier du religieux, aura influencé toute une génération de citoyen-nes engagé-es pour les droits humains. Par ailleurs, des chercheurs et des chercheuses de plus en plus nombreux et nombreuses, voient dans cette approche alternative, intersectionnelle et d’avenir - neuro-psychosocio-théologie -, plus qu’une simple démarche disqualifiée par la bien « pensance » dogmatique, tout autant que par les préjugés de ceux et celles qui se méfient des musulman-es ; certain-es la considèreraient comme non objective, ou politiquement trop fortement teintée d’universalisme idéaliste et candide.

 

Ne pas traiter de la question religieuse, à la fois de manière culturellement inclusive, éthique et objective, sans aller chercher, avec la plus grande minutie, les maux potentiels à leurs racines spirituelles, et organiques, et idéologiques, aujourd’hui en Europe et ailleurs dans le monde, n’est-ce pas laisser le champ libre aux représentations identitaires et politiques les plus extrêmes en la matière ? Comment a-t-on pu laisser nos plus belles histoires, pétries de spiritualité, peu à peu se métamorphosées en cauchemars idéologiques, séparatistes et partisans ?

A chaque génération, la chose spirituelle se voit réappropriée : d’une façon ou d’une autre[34]. Je réitère donc ici la métaphore bicéphale de Gabriel et Michaël. Le premier de ces archanges étant la « force de la parole Divine »[35], celui qui délivra le « message » de Dieu aux prophètes et aux prophétesses de la Torah[36], de la Bible et du Coran[37] ; le second étant considéré comme le chef de fil du « sublime synode » des agents du bien[38], paladin sauroctone qui vainquit les tentations démoniaques tapis en chacun de nous.

A l’aube de ce que d’aucuns décrivent comme l’âge de la maturité pour notre humanité, un choix qui remonte à des temps immémoriaux, une pesée de nos actions s’offre de nouveau à l’ensemble d’entre nous. L’esprit de la rédemption[39] divine sera-t-il ainsi incarné, en notre for intérieur, par le biais de la dévastation, ou par celui de l’apaisement et de l’Universel ?

 

Nous invitons nos partenaires et allié-es à continuer de creuser patiemment ce sillon, d'une conscience humaine holistique, écologique au sens large du terme, qui se représente nos identités comme valant plus que la somme des parties, plutôt que comme un agrégat de facteurs performatifs essentialisés.

C’est ce chemin-là que la Fondation CALEM veut continuer d’explorer : celui d’une libération spirituelle par le culturel, d’un Universalisme atteint par la célébration collective du diversalisme, d’une conscience particulière de la condition des plus vulnérables d’entre nous, par le biais de projets participatifs de terrain, populaires et solidaires, en partenariats avec des organisations et des individus de bonne volonté.

Docteur & Imam Mohamed Lotfi Ludovic ZAHED - Fondateur et Recteur de la Fondation CALEM-ICAZ [40]





[1] Coran : 12.3.

[2] Mika’il.

[3] Djibril.

[4] Ils sont également considérés, par les traditions monothéistes, comme étant les deux anges envoyés par Dieu au neveu d’Abraham, le prophète Loth, à Sodome et Gomorrhe.

[5] Steigerwald, D. (1999). « L'islâm : les valeurs communes au judéo-christianisme ».  Médiaspaul.

[6] Coran : 2.98. Le Coran insiste sur le fait que nous sommes seuls juges de nos propres actions ; Coran : 69.19.

[7] Croyance qui prône le fait d’œuvrer à l’avènement de l’antéchrist (Al-dadjal), afin de précipiter par la suite le règne terrestre du Messie.

[8] Espineira, K. & al. (2016). « Corps vulnérables vies dévulnérabilisées ». L’Harmattan, Paris.

[9] Supra, introduction.        

[10] Hodgson, M. (1977). « The Venture of Islam, Volume 1-3: The Classical Age of Islam ». University of Chicago Press.

[11] Sociologiquement l’Islam n’existe pas, « il » parle encore moins ; ce sont les croyants, inspirés par des traditions couchées sur le papier depuis des siècles, qui font vivre ces religions.

[12] Helly, D. (2006). « Diaspora : un enjeu politique, un symbole, un concept ? » ; in Espace populations sociétés, 1. Disponible en ligne - http://eps.revues.org/960

[13] Moscovici, S. (1979). « Psychologie des minorités actives ». PUF, Paris.

[14] Zahed, L. (2017). « Islams en devenirs : L’émergence d’éthiques islamiques libératrices par la conscience accrue des genres & des corporalités minoritaires ». CALEM, Marseille.

[15] Toutes les sources directement ou indirectement liées à un sujet d’étude donné, en référence à la théologie systématique.

[16] Afin de constituer un système de pensée scientifique, cohérent.     

[17] Traduction qui ne recouvre pas exactement l’étendue épistémologique des termes considérés ici. Cf. Izutsu, T. (2002). « Ethico-Religious Concepts in the Quran ». McGill-Queen's University Press, Canada.

[18] Appartenant à - décidée à - nous tous et toutes

[19] Deux représentations de soit et du monde qui sont incompatibles, théoriquement, et qui coexistent dans notre esprit.

[20] Zahed, L. (2018). « Radicalisations Intersectionnelles : L'exception culturelle des minorités tunisiennes, le Maghreb et la France en miroir ». CALEM, Marseille.

[21] Cf. par exemple « L’islamisme est-il la forme musulmane de la théologie de la libération ? », disponible en ligne - https://orientxxi.info/magazine/l-islamisme-est-il-la-forme-musulmane-de-la-theologie-de-la-liberation,2525 ; ou encore « Le réformisme islamique : courants de pensée et intellectuels », disponible en ligne - https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Steven-Duarte-Le-reformisme-islamique-courants-de-pensee-et.html ; ou enfin le livre de Ramadan, T. (2015). « La réforme radicale ». Poche, Paris.

[22] Je citerai Nathalie Galesne, à propos de la montée des représentations « anti-islamiques » en Europe au début du siècle, notamment par le biais de son analyse du pamphlet de l’ancienne grande reporter italienne : Oriana Fallaci ; « Islam en Italie : cris de guerre médiatiques et roulements de tambours politiques ». La Pensée de midi, 2008/4 (n°26) – pages 67 à 80. Disponible en ligne - https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2008-4-page-67.htm

[23] Arendt, H. (2005). « Le système totalitaire ». Points, Paris.

[24] Zahed, L. (2016). « LGBT musulman-es : du Placard aux Lumières: Face aux obscurantismes et aux homonationalismes ». CALEM, Marseille.

[25] Bouzar, D. (2004). « Monsieur Islam n’existe pas », page 85. Hachette, Paris.

[26] Livre éponyme (2023). Payot, Paris.          

[27] Prendre la partie pour le tout (ex. : contenu / contenant).

[28] Louis-Georges Tin (2020). « Les impostures de l’Universalismes ». Textuel (Actes Sud), Paris.

[29] Loi du 24 août 2021.

[30] Zahed, L. (2018). « Radicalisations Intersectionnelles… » ; op. cit.

[31] Zahed, L. (2016). « LGBT musulman-es…». Op. cit.

[32] Au sens où l’on adapte sa représentation des axiomes éthiques à la progression de la société dans laquelle on vit, dans le but d’inclure l’ensemble de l’humanité sans exclure qui que ce soit sur la base de considération arbitraires, discriminatoires.

[33] Libération par le passage du préjugé à la conviction, centré sur le bien-être de soi et des autres. C’est ce qu’on qualifie en arabe de maslaha. Cf. par exemple Louizi, M. (2018). « Libérer l’islam de l’islamisme ». Fondapol, Paris.

[34] Tradition prophétique islamique, considérée comme « authentique », bien qu’elle soit rapporte par Abu Huraira : « Allah enverra à cette communauté, au début de chaque siècle, ceux et celles qui permettront le renouveau de leur religion ». (cf. Abu Dawud : hadith 4291).

[35] Al-Djabr.

[36] « Gabriel s'approcha de l'endroit où je me tenais. Terrifié, je me jetai le visage contre terre, mais il me dit : « Toi qui n'es qu'un homme, sache pourtant que cette vision concerne la fin des temps ». Daniel : 8.17.

[37] « Par l’étoile à son déclin! Votre compagnon ne s’est pas égaré et n’a pas été induit en erreur et il ne prononce rien sous l’effet de la passion ; ce n’est rien d’autre qu’une révélation inspirée.que lui a enseigné [L’Ange Gabriel]: à la force prodigieuse, doué de sagacité; c’est alors qu’il se montra sous sa forme réelle [angélique], alors qu’il se trouvait à l’horizon supérieur. » ; Coran : 53.1-7.

[38] Coran : 38.69.

[39] Compris dans le sens de nous ramener au « bien », et non pas comme un « rachat » d’un péché originel : un concept qui n’existe pas dans le Coran.

[40]  Confederation of Associations LGBTQIA+ Euro-Africans or Muslims ; International Cheikh-a Zahed : issue d’un consortium d’organisation crées par la famille Zahed - soutenant les énergies vertes, les enfants porteurs de handicaps, les minorités vulnérables.