MANIFESTE
2024 - FONDATION CALEM-ICAZ
« Nous
allons te narrer, grâce à la
révélation de ce Coran,
les
plus beaux récits, bien que tu fus autrefois
parmi les ignorants »[1].
Le Coran est un
texte
admirable, sanctifié par des
générations de croyants, basé sur les plus belles histoires. Ces histoires ne
sont pas spécifiquement ancrées
culturellement ; elles nous parlent de
notre humanité, ici et maintenant. Mais je ne pense pas que
nous devions les
énoncer, dans le langage de nos traditions
séculaires, afin de renforcer les
particularismes ou les schismes, mais bien pour créer des
ponts, tout en
identifiant les signes souvent indicibles de l’Universel
à travers le
particulier.
Cela, bien que
les
traditions monothéistes, tout comme celles des zoroastriens
avant cela, portent
également en elles les germes du récit de
l’autodestruction de notre humanité.
Cette tentation du pire est généralement
symbolisée par la venue de deux messagers
de Dieu en particulier : les archanges Michaël[2]
et
Gabriel[3].
Ces
deux avatars du Divin n’apparaissent ensemble
qu’à une seule reprise dans le
Coran[4] :
au moment de la pesée de nos actions[5],
le jour
du « jugement dernier »[6].
Ainsi, face aux
débats
récurrents qui concernent ces mythes et ces traditions
véhiculées depuis des
millénaires par le religieux, et parfois par ses tendances
millénaristes[7]
les plus
totalitaires, nous voilà par trop souvent bien
démunis, vulnérables :
tantôt en colère, tantôt en recherche de
rédemption universelle. La
vulnérabilité, un terme fortement contemporain
dans les sciences humaines et
sociales, ainsi qu’en philosophie, est
généralement admis dans son acception la
plus commune : faiblesse et fragilité.
Sommes-nous,
collectivement,
trop fragiles face aux coups de butoir des fascismes,
d’où qu’ils
viennent ? Au contraire, sommes-nous trop souvent
motivés par nos peurs
ancestrales, plutôt que par nos idéaux
démocratiques ? Que défendons-nous
dans nos vies désormais mondialisées, tandis que
des millions d’individus
pauvres et affamés fuient les ravages de la crise climatique
et se précipitent
vers l’Europe[8] ?
« Quelles lignes de fuite
reste-t-il
lorsque l’errance d’une stigmatisation a
chassé le rêve de soi ? »[9] Au cœur de ce
maelström civilisationnel, une
renaissance spirituelle, au-delà de la dogmatique
religieuse, est-elle
pensable ? Quelles structures collectives,
académiques, culturelles et
sociales, nous permettraient-elles de traverser à
gué, tel Moïse et Aron, notre
« mer rouge » sang, en cette
post-modernité farouche, en vue d’une islamité[10]
véritablement apaisée ?
Depuis quinze
ans, avec
cette médiatisation du concept de religiosité
progressiste et inclusive, nous
sommes souvent face à des individus, qu'ils soient
concernés personnellement ou
non par la présente question, qui ont entendu tellement de
choses sur le sujet,
et leur contraire, qu'ils veulent avoir une idée
à la fois synthétique et
globale de ces problématiques, du point de vue de nos
traditions religieuses.
Le vivre ensemble, l’apostasie, le genre : que
disent véritablement les
textes religieux[11],
au sein de nos communautés de la diaspora
et de l’autre côté de la
Méditerranée, sur ces sujets de
sociétés des plus brûlants ?[12]
Ce manifeste
représente
donc, avant tout, notre vision systémique de ces tensions
identitaires et
sociales, par le prisme d’un angle mort qu’est
celui du statut des minorités.
Car la façon dont on considère les
identités minoritaires offre pléthore
d’informations à propos du fonctionnement global
d’une société ou d’une
communauté
donnée.
Par
conséquent, le premier objectif de notre paradigme
organisationnel étant de
récapituler les sources scripturaires ayant trait
à ces questions, en
choisissant plusieurs problématiques concrètes,
ainsi qu’en décrivant la façon
dont elles ont été
considérées dans l’histoire
récente de nos religions.
L’objectif
secondaire de notre
paradigme organisationnel étant
d’instaurer un
dialogue, plutôt que d’avoir le
dernier mot, ou de nier les autres
approches de ces problématiques, afin
d’être en
mesure de contribuer à imaginer des ponts, entre nos
traditions culturelles, et
le quotidien des croyant-es en tant qu’acteurs de leurs
destinés, d’où qu’ils
viennent et où qu’ils vivent.
Ce
paradigme, à l’intersection des idéaux
théoriques et du factuel
sociologique, communément décrit comme
étant celui d’une théologie de la
libération, le plus souvent conçu par le prisme
des identités ou des
comportements qualifiés de
« minoritaires », voire
« d’extrêmes »,
nous a déjà permis d’établir
un certain nombre de
constats.
Pourquoi
s’enraciner aux côtés des
minorités ? D’une part,
parce que la façon dont on traite les identités
ou les comportements
minoritaires, au sein d’un groupe social donné, en
dit très long sur la façon
dont les dynamiques internes de ce groupe fonctionnent et se
perpétuent d’une
génération l’autre.
En
effet, cela peut
paraitre contradictoire, pour autant
au-delà du jugement de valeur, il nous faut comprendre
qu’il s’agit là d’un
phénomène aisé à analyser
en termes de systémiques psycho-sociales liées
aux
dynamiques de groupes. Ce phénomène de
« fascisation » des
identités,
par la réécriture dogmatique et exclusive des
héritages culturels, relève de la
peur d’un groupe social, quel qu’il soit, surtout
en temps de crise économique,
puis politique, de voir son identité remise en question par
la minorité en son
sein[13].
En
miroir de
ces phobies inconscientes et injustifiées, nous placerons
ici en exergue le
fait que la représentation d’un humanisme
universel possible, revendiqué au
cœur de nos traditions culturelles ou religieuses, doit par
conséquent être
refondé d’une part sur une primauté
temporelle de la loi humaine, pour le
soutien de l’élaboration d’un ordre
sociétal juste ; d’autre part, sous
l’impulsion du Divin, par une
supériorité de l’exemple
éthique incarné par nos
traditions prophétiques, placé ainsi au-dessus de
nos instincts humains, qui
contribuent à scléroser nos interactions
interindividuelles en temps de crises[14].
C’est
là que
se love l’esprit de la loi religieuse.
Primauté pragmatique du sociologique,
supériorité éthique de
l’axiologique. C’est
là que se niche l’axiome principal de la
théologie de la Libération par les
minorités, tout autant que la complexité
première de ce type de démarche
intersectionnelle. Comme il est aisé de
l’écrire, et ardu de le voir
réalisé.
S’ajoute
à
cela le fait que la culture, lorsqu’on l’observe
comme étant le produit des
interactions interindividuelles, semble pourtant impossible
à séparer
organiquement du religieux, hors de tout contexte, et inversement.
Toute
religion est un produit de sa culture mère ; elle
ne tombe jamais du ciel.
De même qu’on ne soit en mesure, à ce
jour, de donner l’exemple d’une seule
culture qui aurait émergé sans produire de
représentations spirituelles.
De
l’autre
côté de la Méditerranée,
depuis l’aube du vingtième siècle,
à l’aune des luttes
de libération postcoloniales, le dogmatisme religieux
n’a jamais autant été
instrumentalisé afin d’influencer les dynamiques
sociopolitiques, puis
identitaires. Cela ne saurait continuer d’avoir des
conséquences sur nos représentations
spirituelles, partout ailleurs dans le monde.
Notre
paradigme
organisationnel,
intersectionnel, permettra ainsi de
retracer, de manière systématique[15]
et systémique[16],
par le récit d’exemplaires concrets,
l’origine des sources scripturaires en
lien avec une certaine représentation de
l’éthique religieuse en
Islam : al-adab[17].
En
français il y a, et récemment de plus en plus, de
nombreux termes empruntés à
l’arabe, bien plus qu’au gaulois. Pour autant, ces
termes ne recouvrent pas
toujours exactement l’acception classique, qu’on en
avait avant leur passage
dans nos langues vernaculaires occidentales, ou même dans
leurs argots. A toute
fin utile, je préciserai donc que l’Islam, avec un
« i » majuscule, fait
référence en langue française
à la civilisation dite « arabo-musulmane
», et
non à l’islam
en tant que religion stricto sensu.
L’Islam, c’est donc avant
tout les musulmans, les musulmanes et autres.
Il faut
également distinguer différentes
représentations du lien à cet Islam : islam, religion de
« paix »
(et non de soumission) ; shari'a,
chemin vers « l'Illumination », vers
l’éveil - al-yaqine
– qui n’est pas une prison dogmatique ;
le fiqh, compréhension
islamique
traditionnelle du message divin (ce n’est pas une
« loi »).
Ajoutons
à cela qu’au sein de
sociétés laïques et
démocratiques, la seule loi est celle
de la Respublica[18]
démocratique. Il en est ainsi de nos jours dans les
sociétés laïques, et selon
la théologie de la Libération dont je me
réclame, Dieu l'a voulu ainsi pour
notre plus grand bien ! Seule la théologie de la
Libération, entreprise
par le prisme des minorités, nous permettra ainsi de passer
outre les
dysphories[19]
et les conflits d’allégeance.
Ces
mises en perspectives épistémologiques permettent
également de
déconstruire les sophismes à
l’œuvre ici, par le truchement desquels les
soi-disant « islamistes », depuis
un siècle, ont participé au
renforcement des identités meurtrières et
fascisantes en Islam, par le biais
d’une représentation exclusivement dogmatique et
rigoriste des traditions
spirituelles, perçues ainsi comme fondamentalement
islamisantes et non pas
universelles.
Neuro-psychosocio-théologie,
est le terme que j’utilise afin de définir
ce paradigme intersectionnel, éthico-religieux, prenant
ainsi en compte
l’ensemble des facteurs déterminants premiers de
la présente problématique
ainsi décrite : les facteurs liés au
fonctionnement de nos structures
cérébrales les plus ataviques ; ceux
liés à nos croyances ancestrales les
plus intimes ; et enfin les facteurs liés
à la façon dont nous
implémentons ces dernières, dans notre quotidien,
afin de façonner nos
interactions avec l’ensemble de la création.
Il
n’en reste pas moins, aux vues du contexte actuel, que nos
traditions religieuses seront éthiques et universalistes, ou
ne seront plus. Mais
à cela s’ajoute une difficulté
politique supplémentaire : nous sommes ici
enchâssé-es entre deux
extrêmes, dont j’ai déjà
traité par ailleurs[20].
D’un
côté, nous aurions
ceux et celles qui sont décrient comme des
« islamistes », qui se
disent réformistes[21],
qui
prétendent que l’islam
cela veut dire
« paix » en arabe, mais qui ne
font qu’exclure les
« autres » ainsi
fantasmés. Plus encore, ils basent les principes
axiologiques mêmes de leur réforme sur la
discrimination, plutôt que sur
l’inclusion : pierre angulaire d’un
universalisme dont ils se réclament
pourtant. Ainsi, pour les
« islamistes » la paix
universelle ce
serait l’islam, et rien d’autre, mais pas tout
à fait pour les femmes,
certainement pas pour les juifs, absolument jamais pour les
minorités de genre
et les apostats.
D’autre
part, nous
aurions ceux et celles qui sont décrits comme des
« laïcards », qui
se disent défenseurs des libertés individuelles,
que certains accusent de ne
pas défendre aussi férocement les droits humains
des musulman-es, voire d’être
un tantinet « islamophobes »[22],
et ce
de manière ouvertement
décomplexée ; considérant,
par exemple, que les victimes
civiles, lorsqu’elles sont identifiées comme
« arabo-musulmanes », ne
seraient qu’une malheureuse variable d’ajustement
nécessaire. Les théologies de
la Libération, c’est bien justement de replacer
les plus vulnérables au cœur de
nos préoccupations politiques, éthiques et
spirituelles.
En cela,
qu’ils appartiennent à un
présupposé extrême ou
à un autre, nous sommes souvent confronté-es
à des gens qui ânonnent les mêmes
banalités à propos d’une culture
islamique ainsi réifiée, mais sans jamais
s’attaquer au radical du mal islamisant. Ces deux
extrêmes sont rétifs, de par
leur nature idéologique profonde, à franchir
l’abîme entre authenticité
individuelle et idéalisme collectif.
La philosophe du
siècle dernier, Hannah Arendt[23],
avait initié une telle entreprise de création
d’un substrat intellectuel, en
lien avec la mise en place sociopolitique de toutes les formes de
fascismes : au-delà de leurs façades aux
colorations culturelles diverses,
leurs dynamiques sous-jacentes sont en tous points similaires,
systémiquement
parlant[24].
En tant
qu’intellectuel-les, artistes ou responsables
associatif, engagé-es sur ces terrains-là depuis
trente ans, notre marotte a
été d’identifier les points communs,
les dynamiques sous-jacentes suffisantes
et nécessaires, à
l’élaboration d’identités
fascisées en temps de crises, sur
le dos des minorités, afin d’éviter
l’écueil qui consisterait à
être trompé-es
par de simples façades idéologiques, certes
diverses et variées.
Plus
encore, ces deux dernières décennies, nous avons
assisté à la valse des
terminologies, plus ou moins fleuries, afin de qualifier ces
différentes
problématiques croisées, en lien avec la
radicalisation de certains religieux.
Ainsi, en prémisse de ce manifeste, j’ai choisi
d’utiliser une terminologie
dynamique, qui permet de dépasser les clivages politiques,
tout en présentant
l’intérêt de décrire ces
processus idéologiques.
En cela, islamisants est un terme qui fait
référence à ces individus qui
considèrent que : « L’islam reste la source à
partir de laquelle
tout est conçu »[25] ;
au contraire des musulman-es « laïcs »,
qui considèrent l’islam comme une philosophie de
vie, un cadre axiologique
intégré au reste de l’architecture de
leur existence spirituel.
Quant
à notre
représentation de l’universalisme,
elle est ici intersectionnelle et inclusive. C’est ainsi que
ce concept est
rétabli par l’universitaire noire
américaine Kimberlé Crenshaw, afin de
décrire
la façon dont le croisement entre racisme et sexisme lui a
permis de mettre au
jour l’angle mort de certains milieux militants, qui ne
prennent jamais en
compte la totalité du spectre des discriminations
à déconstruire[26].
Ce tropisme
d’une
certaine systémique militante, prétendument
universaliste, a longtemps placé
les individus issus de plusieurs minorités visibles
à l’intersection de
discriminations, qui se superposent les unes aux autres, qui
s’hyperbolisent,
se télescopent et se renforcent, sans pour autant
qu’elles soient identifiées
de manière spécifique et objective.
C’est ce qui fait dire à certains
intellectuel-les que : « Lorsque
nous pensons l’universalisme, nous sommes dans une logique
métonymique[27],
et nous prenons la partie pour le tout »[28].
Enfin, le terme
de séparatisme est
apparue dans le débat
public national français il y a peu, au moment de la
rédaction de la loi
éponyme[29].
Au fil
de nos entretiens, en amont du vote de cette loi, avec mes
collègues
anthropologues du Bureau des Cultes
au ministère de l’intérieur
français, nous en sommes arrivé à la
conclusion que
ce terme présentait au moins l’avantage de nous
permettre de ne plus être contraint
de faire exclusivement usage du
« communautarisme », dont
l’acception
est à géométrie variable et
dépend trop souvent encore de la couleur de peau,
ou de la confession, des individus composant certaines
communautés en
particulier.
Les
prémisses épistémologiques ainsi que
terminologiques de notre propos ainsi
posés, nous continueront de développer des
projets concrets inch’Allah - tant
académiques, culturelles et artistiques -, afin
d’accompagner ces mutations
contemporaines des représentations culturelles, ou
religieuses, au-delà d’une
conception politique fascisante, en l’occurrence islamisante,
de nos identités
individuelles et collectives.
Nous
prendrons ainsi à bras le corps, de manière
intersectionnelles, la
déconstruction d’une représentation
exclusive de l’Islam, car nous avons
pleinement conscience du fait que tous les processus de fascisation des
identités, quelle que soit l’époque ou
la culture considérée, que l’on nomme
aujourd’hui le séparatisme, commencent par
l’exclusion des
« autres »,
considérés comme ne faisant plus partie
d’un groupe
socio-identitaire digne d’humanité. Ainsi, nous
serons inscrit-es en faux
contre l’exclusion de
« l’autre », cette
fois-ci au sein du groupe,
afin de renforcer les frontières de ce dernier, en
stigmatisant des convictions
ou des comportements décrits comme
« pervers » ou
« contre-nature ».
Enfin,
nous serons opposé-es à la
réécriture du passé historiographique
des origines
identitaires et culturelles du monde dit
« arabo-musulman », afin de
boucler le processus d’analyse de cette radicalisation
particulière[30]
qui, comme toutes les autres, est systémiquement et
systématiquement construite
socio-politiquement sur le dos des minorités religieuses,
ethniques,
linguistiques, de genre, ou autre[31].
Il
n’en
reste pas moins qu’une telle dynamique paradigmatique
organisationnelle, certes
systémique et rigoureuse, porte en elles plusieurs angles
morts. Ce
type d’organisation socioculturelle, telle que la Fondation
CALEM, présente
ainsi l’avantage évident de considérer
la réalité telle qu’elle est,
plutôt que
de conjecturer indéfiniment sur ce que telle ou telle
culture, ainsi réifiée,
nous commanderai d’être.
Plus
particulièrement, notre approche théologique
libératrice replace les individus au centre de nos
considérations axiologiques,
qu’elles soient philosophiques ou plus
spécifiquement religieuses. C’est
là une différence majeure avec
les tensions identitaires portées par d’autres
mouvements historiques, qui ont eu
un point de vue plus dichotomique sur la question,
considérant que deux
identités cohabiteraient, d’une façon
plus ou moins clivée, au sein de la
représentation que l’individu concerné
a de lui-même : le croyant d’un
côté, le citoyen de l’autre.
Mais le
défi majeure, auquel doivent faire face ce type d’organisation socioculturelle, est
celui partagé par l’ensemble
des projets qualifiés de progressistes et inclusifs[32],
élaborés depuis l’intérieur
d’une tradition séculaire, culturelle et
religieuse.
Ce défi consiste à séparer ce qui est
essentiel à la foi, de ce qui est imposé
par une culture ou un contexte sociopolitique donné, en
fonction de facteurs
économiques et géostratégiques, en
l’occurrence postcoloniaux, le plus souvent
déterminants bien qu’implicites ; puis,
d’autre part, de tamiser ce qui relève
de la préservation apaisée d’une
tradition spirituelle parmi tant d’autres, de
ce qui a trait à l’émancipation[33]
des
individus qui font vivre ces traditions.
Il
y a sans doute des chausse-trappes surnuméraires
à ce type d’engament,
à l’intersection entre diversité
socioculturelle et foi universaliste, du fait
d’un terrain particulier, multidisciplinaire et au
déterminisme multifactoriel,
en pleine mutation depuis une trentaine d’années,
en lien avec l’islam en tant
que tradition philosophico-religieuse, mais aussi l’histoire
contemporaine
particulière des pays des deux rives de la
Méditerranée
Pour
autant, ainsi croisées, ces problématiques
minoritaires nous
permettront d’établir des conjectures solides
à propos de la façon dont certains
leaders ont procédé, peu à peu tout au
long de la fin du siècle passé
jusqu’à
nos jours, à une aliénation des traditions, tout
en renforçant leurs dynamiques
politiques fascisantes, à l’encontre du vivre
ensemble – nommée covivencia
à l’époque Andalouse - et de
l’émancipation du plus grand nombre.
Enfin,
en dépit des lacunes et des controverses que ce genre
d’approche suscite de nos jours, le paradigme d’une
théologie de la libération
systématique et systémique, appliqué
au cas particulier du religieux, aura
influencé toute une génération de
citoyen-nes engagé-es pour les droits
humains. Par ailleurs, des chercheurs et des chercheuses de plus en
plus
nombreux et nombreuses, voient dans cette approche alternative,
intersectionnelle
et d’avenir - neuro-psychosocio-théologie
-,
plus qu’une simple
démarche disqualifiée par la bien
« pensance » dogmatique, tout
autant que par les préjugés de ceux et celles qui
se méfient des musulman-es ;
certain-es la considèreraient comme non objective, ou
politiquement trop
fortement teintée d’universalisme
idéaliste et candide.
Ne
pas traiter de la question religieuse, à la fois de
manière
culturellement inclusive, éthique et objective, sans aller
chercher, avec la
plus grande minutie, les maux potentiels à leurs racines
spirituelles, et
organiques, et idéologiques, aujourd’hui en Europe
et ailleurs dans le monde,
n’est-ce pas laisser le champ libre aux
représentations identitaires et
politiques les plus extrêmes en la
matière ? Comment a-t-on pu laisser nos
plus belles histoires,
pétries de
spiritualité, peu à peu se
métamorphosées en cauchemars
idéologiques,
séparatistes et partisans ?
A
chaque génération, la chose spirituelle se voit
réappropriée : d’une
façon ou d’une autre[34].
Je réitère donc ici la métaphore
bicéphale de Gabriel et Michaël. Le premier de
ces archanges étant la « force
de la parole Divine »[35],
celui qui délivra le
« message » de Dieu aux
prophètes et aux
prophétesses de la Torah[36],
de la Bible et du Coran[37] ;
le second étant considéré comme le
chef de fil du « sublime synode »
des agents du bien[38],
paladin sauroctone qui vainquit les tentations démoniaques
tapis en chacun de
nous.
A
l’aube de ce que d’aucuns décrivent
comme l’âge de la maturité
pour notre humanité, un choix qui remonte à des
temps immémoriaux, une pesée de
nos actions s’offre de nouveau à
l’ensemble d’entre nous. L’esprit de la
rédemption[39]
divine sera-t-il ainsi incarné, en notre for
intérieur, par le biais de la
dévastation, ou par celui de l’apaisement et de
l’Universel ?
Nous invitons nos partenaires et allié-es à continuer de creuser patiemment ce sillon, d'une conscience humaine holistique, écologique au sens large du terme, qui se représente nos identités comme valant plus que la somme des parties, plutôt que comme un agrégat de facteurs performatifs essentialisés.
C’est ce chemin-là que la Fondation CALEM veut continuer d’explorer : celui d’une libération spirituelle par le culturel, d’un Universalisme atteint par la célébration collective du diversalisme, d’une conscience particulière de la condition des plus vulnérables d’entre nous, par le biais de projets participatifs de terrain, populaires et solidaires, en partenariats avec des organisations et des individus de bonne volonté.
Docteur & Imam Mohamed Lotfi Ludovic ZAHED - Fondateur et Recteur de la Fondation CALEM-ICAZ [40]
[1] Coran : 12.3.
[2] Mika’il.
[3] Djibril.
[4] Ils sont également
considérés, par les traditions
monothéistes, comme étant les deux anges
envoyés
par Dieu au neveu d’Abraham, le prophète Loth,
à Sodome et Gomorrhe.
[5] Steigerwald, D.
(1999). « L'islâm
: les valeurs
communes au judéo-christianisme ». Médiaspaul.
[6] Coran : 2.98.
Le Coran insiste sur le fait que nous sommes seuls juges de nos propres
actions ; Coran : 69.19.
[7] Croyance qui prône
le fait d’œuvrer à
l’avènement de l’antéchrist (Al-dadjal), afin de précipiter
par la suite le règne terrestre du
Messie.
[8] Espineira, K. &
al. (2016). « Corps
vulnérables vies
dévulnérabilisées ».
L’Harmattan, Paris.
[9] Supra, introduction.
[10] Hodgson, M. (1977). « The Venture of Islam, Volume 1-3: The Classical Age of Islam ». University of Chicago Press.
[11] Sociologiquement
l’Islam n’existe pas,
« il » parle encore
moins ; ce sont les
croyants, inspirés par des traditions couchées
sur le papier depuis des
siècles, qui font vivre ces religions.
[12] Helly, D.
(2006). « Diaspora : un enjeu politique, un symbole, un
concept ? » ; in Espace
populations sociétés, 1. Disponible en
ligne - http://eps.revues.org/960
[13] Moscovici, S.
(1979). « Psychologie des minorités
actives ».
PUF, Paris.
[14] Zahed, L. (2017). « Islams
en devenirs : L’émergence
d’éthiques islamiques libératrices par
la conscience accrue des genres &
des corporalités minoritaires ».
CALEM, Marseille.
[15] Toutes les sources
directement ou indirectement liées à un sujet
d’étude donné, en
référence à la théologie
systématique.
[16] Afin de constituer
un système de pensée scientifique,
cohérent.
[17] Traduction qui ne
recouvre pas exactement l’étendue
épistémologique des termes
considérés ici. Cf. Izutsu, T. (2002). « Ethico-Religious
Concepts in the Quran ». McGill-Queen's
University Press, Canada.
[18] Appartenant à -
décidée à - nous tous et toutes
[19] Deux représentations
de soit et du monde qui sont incompatibles, théoriquement,
et qui coexistent
dans notre esprit.
[20] Zahed, L. (2018).
« Radicalisations
Intersectionnelles
: L'exception culturelle des minorités tunisiennes, le
Maghreb et la France en
miroir ». CALEM, Marseille.
[21] Cf. par exemple « L’islamisme
est-il la forme musulmane
de la théologie de la libération
? », disponible en ligne - https://orientxxi.info/magazine/l-islamisme-est-il-la-forme-musulmane-de-la-theologie-de-la-liberation,2525 ; ou encore « Le
réformisme islamique : courants de pensée
et intellectuels », disponible en ligne - https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Steven-Duarte-Le-reformisme-islamique-courants-de-pensee-et.html ; ou enfin le livre
de Ramadan, T. (2015). « La
réforme radicale ». Poche,
Paris.
[22] Je citerai Nathalie
Galesne, à propos de la montée des
représentations
« anti-islamiques » en Europe au
début du siècle, notamment par le
biais de son analyse du pamphlet de l’ancienne grande
reporter italienne :
Oriana Fallaci ; « Islam en Italie : cris de guerre
médiatiques et roulements de tambours
politiques ». La Pensée de midi, 2008/4 (n°26)
– pages 67 à
80. Disponible en ligne -
https://www.cairn.info/revue-la-pensee-de-midi-2008-4-page-67.htm
[23] Arendt, H. (2005).
« Le système
totalitaire ». Points,
Paris.
[24] Zahed, L. (2016).
« LGBT musulman-es : du
Placard aux
Lumières: Face aux obscurantismes et aux homonationalismes ».
CALEM,
Marseille.
[25] Bouzar, D. (2004). « Monsieur
Islam n’existe pas »,
page 85. Hachette, Paris.
[26] Livre éponyme (2023). Payot, Paris.
[27] Prendre la partie
pour le tout (ex. : contenu / contenant).
[28] Louis-Georges Tin
(2020). « Les impostures
de
l’Universalismes ». Textuel
(Actes Sud), Paris.
[29] Loi du 24 août 2021.
[30] Zahed, L. (2018).
« Radicalisations
Intersectionnelles… » ;
op. cit.
[31] Zahed, L. (2016).
« LGBT
musulman-es…». Op. cit.
[32] Au sens où l’on
adapte sa représentation des axiomes éthiques
à la progression de la société
dans laquelle on vit, dans le but d’inclure
l’ensemble de l’humanité sans exclure
qui que ce soit sur la base de considération arbitraires,
discriminatoires.
[33] Libération par le
passage du préjugé à la conviction,
centré sur le bien-être de soi et des
autres. C’est ce qu’on qualifie en arabe de maslaha.
Cf. par exemple Louizi, M. (2018). « Libérer
l’islam de l’islamisme ». Fondapol,
Paris.
[34] Tradition
prophétique islamique, considérée
comme « authentique », bien
qu’elle
soit rapporte par Abu Huraira : « Allah
enverra à cette communauté, au début
de chaque siècle, ceux et celles qui
permettront le renouveau de leur religion ». (cf.
Abu Dawud : hadith 4291).
[35] Al-Djabr.
[36] « Gabriel
s'approcha de l'endroit où je me
tenais. Terrifié, je me jetai le visage contre terre, mais
il me dit : « Toi
qui n'es qu'un homme, sache pourtant que cette vision concerne la fin
des temps
». Daniel : 8.17.
[37] « Par
l’étoile à son déclin! Votre
compagnon
ne s’est pas égaré et n’a pas
été induit en erreur et il ne prononce rien sous
l’effet de la passion ; ce n’est rien
d’autre qu’une révélation
inspirée.que
lui a enseigné [L’Ange Gabriel]: à la
force prodigieuse, doué de sagacité;
c’est alors qu’il se montra sous sa forme
réelle [angélique], alors qu’il se
trouvait à l’horizon supérieur. » ;
Coran : 53.1-7.
[38] Coran : 38.69.
[39] Compris dans le sens
de nous ramener au « bien », et
non pas comme un « rachat »
d’un péché originel : un
concept qui n’existe pas dans le Coran.
[40] Confederation of Associations LGBTQIA+ Euro-Africans or Muslims ; International Cheikh-a Zahed : issue d’un consortium d’organisation crées par la famille Zahed - soutenant les énergies vertes, les enfants porteurs de handicaps, les minorités vulnérables.